Elsevier

Pratiques Psychologiques

Volume 16, Issue 3, September 2010, Pages 287-301
Pratiques Psychologiques

Examen psychologique
Violence et qualité de vie : étude de l’effet du genre dans un contexte tunisienViolence and quality of life: A study of gender effects in a Tunisian context

https://doi.org/10.1016/j.prps.2010.01.001Get rights and content

Résumé

L’objectif de cette étude est de mieux connaître les phénomènes de violences ressentis et leur implication, notamment en matière de santé et de qualité de vie chez les hommes et les femmes. Notre étude a été réalisée en Tunisie auprès d’un échantillon représentatif de 720 adultes hommes et femmes d’âge et de milieux socioéconomiques variables. Différentes formes de violences (physique, psychologique et sexuelle) vécues durant les différentes phases de la vie (enfance, adolescence et âge adulte) ont été mesurées afin d’étudier leur association avec la qualité de vie subjective des sujets. Les résultats confirment les éléments de la littérature puisque la violence subie à un moment donné de la vie affecte négativement la qualité de vie des sujets. Plus particulièrement, et par rapport aux hommes, les femmes semblent êtres plus affectées en exprimant une qualité de vie subjective fortement détériorée.

Abstract

This study aims at a better understanding of concrete violence phenomena and their implication, particularly in matters of men's and women's health and quality of life. Our study was carried out in Tunisia with a sample population of 720 male and female adults from different age groups and various socio-economic contexts. Diverse forms of violence (physical, psychological, and sexual) undergone during different phases of life (childhood, adolescence, and adulthood) were measured in a bid to investigate their linkage with the quality of the population's personal life. The results tend to corroborate that the violence one undergoes at a specific moment in one's life affects the quality of one's personal life. It is more particularly women who are the ones most affected and the quality of their personal lives is of a poor quality in comparison with men's.

Introduction

La violence constitue l’un des principaux problèmes de santé publique dans le monde. Il s’agit fondamentalement d’un phénomène complexe et multidimensionnel qui concerne tant la santé et le bien-être que les droits de la personne humaine. À tout moment de leur vie et dans les différents espaces, les hommes et les femmes sont souvent exposés à des violences physiques et psychologiques trop souvent subies dans le silence comme une fatalité, voire même déniées par les victimes elles-mêmes (Fontaine, 2003).

Dans le Rapport mondial sur la violence et la santé, publié en 2002, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne le manque de données disponibles permettant la mesure des différentes formes de violence (OMS, 2002).

Peu d’études, francophones notamment, se sont penchées sur les conséquences du phénomène sur les multiples aspects de la vie des individus et la plupart de ces études n’explorent que certaines formes prises à part du phénomène et n’abordent que ses conséquences les plus visibles.

Ces études démontrent généralement que les situations de violence et particulièrement celles subies pendant l’enfance accroissent grandement les risques de dysfonctionnements familiaux à l’âge adulte et mettent en jeu aussi bien la santé physique que mentale des individus.

C’est à ce titre que l’étude d’Edwards et al., 2003 a montré que 43 % des adultes suivis dans des services de soins psychiques ont été soumis pendant leur enfance à divers types de traumatismes. En exemple, l’exposition à l’agressivité verbale parentale et à des scènes de violence conjugale dans l’enfance entraîne souvent des conséquences psychiatriques à l’âge adulte avec des symptômes anxieux, dépressifs et dissociatifs (Teicher et al., 2006).

Ces violences vues et/ou subies par les enfants ont un impact d’autant plus important qu’ils sont précoces. M. Berger (2008) parle de traumatisme relationnel précoce lorsqu’un enfant de moins de deux ans est soumis à des stimuli désorganisateurs, car trop angoissants pour lui.

Par ailleurs, les études montrent que les formes de violence sont souvent utilisées comme un moyen pour régler les conflits entre les hommes et les femmes (Langhinrichsen-Rohling, 2005).

Certaines de ces études rapportent des résultats différents, voire même contradictoires parfois. Elles démontrent que les femmes sont significativement plus touchées par la violence que les hommes et plus spécifiquement par certains types de violence comme la violence sexuelle (Hearn, 1994).

C’est ainsi qu’une enquête française menée en 2005–2006 auprès de 10 000 personnes âgées de 18 à 75 ans révèle que les femmes déclarent plus fréquemment que les hommes avoir subi des dommages matériels, professionnels, psychologiques ou physiques importants ou bien encore des dommages en matière de santé, à la suite des violences subies (L’enquête française, 2007).

D’autres études démontrent que les hommes ne sont pas à l’abri de ce phénomène et qu’ils sont même particulièrement vulnérables par rapport aux femmes. C’est ainsi qu’une étude réalisée en Australie (O’Leary et Gould, 2008) révèle que pour les hommes, les traumatismes ont un plus grand effet du fait qu’ils sont souvent dans l’incapacité de se confier ne serait-ce qu’à leurs amis. Les chercheurs ont constaté ainsi que les hommes ayant été victimes d’abus sexuels dans leur enfance sont dix fois plus susceptibles d’avoir des tendances suicidaires et que beaucoup de ces hommes n’avaient pas été cliniquement diagnostiqués comme dépressifs.

Par ailleurs, les résultats de plusieurs études récentes entreprises au Royaume-Uni et en Amérique du Nord révèlent une symétrie de l’agressivité entre les deux sexes.

Dans ce contexte, la présente étude, menée dans un milieu culturel spécifique, vise à explorer chez les hommes et les femmes, le rôle particulier de chaque forme de violence (physique, sexuelle, psychique, verbale, économique et sous forme de privation) vécue durant les différentes tranches d’âge (l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte) et ce, dans les différents espaces de vie (l’espace familial, la rue, l’école et l’espace du travail).

En effet, quel que soit le lieu où elle s’exerce et quelles ques soient sa forme et son intensité, la violence engendre des conséquences plus ou moins importantes sur l’état physique, psychologique et social des individus.

Dans notre étude, nous nous interrogeons sur le vécu de la violence par les femmes et par les hommes en évaluant leur qualité de vie et en spécifiant les conséquences physiques, psychologiques et sociales de la violence dans ses différentes formes.

Le concept de qualité de vie, qu’il faut distinguer du niveau de vie, fait l’objet d’un consensus dans la littérature scientifique internationale et possède des fondements psychologiques, sociologiques, économiques et médicaux indéniables (Bruchon-Schweitzer, 2002), ce qui le rend tout à fait adapté à notre objet d’étude.

En effet, l’OMS définit le concept de qualité de vie en tenant compte des aspects objectifs et subjectifs qu’il comporte puisqu’il est conçu comme « la perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C’est un concept complexe, largement influencé par la santé physique du sujet, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement » (WHO, 1996).

Ainsi, l’évaluation de la qualité de vie des personnes repose à la fois sur des indicateurs externes (objectifs) et des indicateurs internes (subjectifs). Il s’agit en effet d’un concept plus large que la santé ou le bien-être (Leplege, 1999).

Les indicateurs externes concernent la plupart des rôles de survie définit par l’OMS : mobilité, indépendance physique, occupations et relations sociales. Les indicateurs internes ont trait à l’humeur, les émotions positives et négatives, le bien-être et la satisfaction.

Nous pouvons ainsi, relever quatre propriétés fondamentales caractérisant la qualité de vie des individus :

  • la multifactorialité : il s’agit aussi bien d’un état de santé physique que psychologique que d’un état de bien-être social et économique ;

  • la variabilité : il s’agit d’une situation spécifique à un moment donné et non un état stable ;

  • la non normativité : il n’y’a pas de normes de référence car le sujet est son propre contrôle ;

  • la subjectivité : il s’agit d’une perception et d’une auto-évaluation par le sujet.

Section snippets

Population

Notre étude a été réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 720 adultes hommes et femmes. La sélection a été faite selon une méthode d’échantillonnage aléatoire stratifié. Cette méthode consiste d’abord à subdiviser la population en groupes homogènes (strates) pour ensuite extraire un échantillon aléatoire de chaque strate. Les variables composants les strates sont l’âge (de 20 à 40 ans et 40 et plus), le sexe (hommes – femmes), le niveau de scolarité (non scolarisé, primaire,

Étude des effets de la violence sur la qualité de vie subjective des sujets

La violence est un objet d’étude complexe et multidimensionnel, ce qui nous invite à adopter une approche globale et non dichotomique. Cette approche situe les individus sur un continuum selon des degrés différents mais aussi selon des types multiples.

Dans nos analyses, nous avons considéré à la fois le degré et l’intensité de la violence subie par les femmes et par les hommes (trois niveaux sont répertoriés : absence de violence, présence de quelques signes de violence et présence nette et

Conclusion

Quel que soit la forme qu’elle peut prendre, la violence influence la qualité de vie des femmes et des hommes dans ses différentes composantes. Qu’elle soit physique, psychologique ou économique, la violence entraîne en effet une détérioration remarquable de la qualité de vie des individus.

La présence de violence dans la vie des sujets affecte aussi bien les indicateurs objectifs que subjectifs que comprend la notion de qualité de vie. Les sujets concernés se retrouvent ainsi souvent affectés

Conflit d’intérêt

Aucun.

Références (18)

  • M. Berger

    Voulons-nous des enfants barbares ?

    (2008)
  • M. Bruchon-Schweitzer

    Santé, bien-être et qualité de vie

  • V. Edwards et al.

    Relationship between multiple forms of childhood maltreatment and adult mental health of community respondents: results from the adverse childhood experience study

    American Journal of Psychiatry

    (2003)
  • D.M. Fergusson et al.

    Exposure to interparental violence in childhood and psychosocial adjustment in young adulthood

    Child Abuse & Neglect

    (1998)
  • R. Fontaine

    Psychologie de l’agression

    (2003)
  • A. Harper et al.

    Development of the World Health Organization WHOQOL- BREF Quality of Life Assessment

    Psychological Medicine

    (1998)
  • J. Hearn

    The organisation(s) of violence: men, gender divisions, organisations and violence

    Human Relations

    (1994)
  • L’enquête française. « Événements de vie et santé » études et résultats, no  598 septembre 2007. Direction de la...
There are more references available in the full text version of this article.
1

Maître assistant en psychologie.

View full text