Elsevier

L'Évolution Psychiatrique

Volume 74, Issue 1, January–March 2009, Pages 55-63
L'Évolution Psychiatrique

Visages
Joie, tristesse ou colère ? Quelles stratégies utilisent les enfants porteurs du syndrome de Williams pour reconnaître des expressions émotionnelles faciales ?Happy, sad or angry? What strategies do children with Williams syndrome use to recognize facial expressions of emotion?

https://doi.org/10.1016/j.evopsy.2008.12.012Get rights and content

Résumé

Les enfants porteurs d’un syndrome de Williams (SW) présentent un profil cognitif très hétérogène avec des compétences relativement préservées pour la reconnaissance des visages mais des fonctions visuospatiales très altérées. Plus précisément, des déficits dans le traitement des relations spatiales entre les éléments qui composent un pattern visuel (c’est-à-dire, traitement configural) ont été décrits chez les enfants SW. Notre étude visait à vérifier si ce déficit du traitement configural s’étendait à la reconnaissance des expressions émotionnelles. Nous avons demandé pour cela à 15 enfants SW ainsi qu’à 15 enfants témoins du même âge mental et à 15 enfants témoins du même âge chronologique d’identifier la joie, la tristesse ou la colère sur des visages présentés à l’endroit ou à l’envers. Les résultats montrent que les enfants SW, comme les enfants témoins, présentent des performances significativement moins bonnes pour les visages à l’envers qu’à l’endroit. Nos données suggèrent donc que la mise en place de stratégie perceptive typique, c’est-à-dire, configurale, est possible chez les enfants SW lorsque la tâche est à consonance socioémotionnelle. Ce résultat est à mettre en relation avec le caractère « hypersociable » des enfants SW qui est l’un des aspects les plus marquant de leur phénotype.

Abstract

Children with Williams syndrome (WS) show an uneven cognitive profile with relatively spared face-processing skills contrasting with impaired visuospatial cognition. More precisely, deficits to process spatial relationships between elements of a visual pattern (that is, configural processing) have been found in children with WS. The present study aimed at determining whether this configural-processing deficit affects facial-emotion recognition. To this aim, 15 children with WS were asked to recognize emotional expressions displayed in upright and inverted faces and their performance was compared to that of 15 mental and 15 chronological age-matched controls. Results revealed that children with WS, as typically developing controls, were more accurate to recognize emotions displayed in upright than in inverted faces. This indicates that children with WS are able to use a typical perceptual strategy, that is., a configural strategy, to process facial expressions of emotion. Findings of this study are interpreted in relation to the hallmark feature of WS–hypersociability.

Introduction

Le syndrome de Williams (SW) est un syndrome génétique relativement rare qui résulte d’une microdélétion concernant la région 7q11.23 du chromosome 7 [1], [2]. Le phénotype de ces patients comprend principalement un ensemble de traits faciaux très caractéristiques, des malformations cardiaques, une hyperacousie, un retard mental qui peut aller de léger à modéré, et un profil cognitif hétérogène. Les enfants présentant ce syndrome ont d’abord été décrits comme excellents dans les fonctions langagières mais très déficitaires dans les fonctions visuospatiales [3]. Par ailleurs, leur caractère hypersociable a été largement décrit bien que très peu étudié [4]. Cette constellation spécifique de forces et de faiblesses fait des enfants atteints du SW un modèle d’étude privilégié des fonctions cognitives et de leur développement.

Pourtant, plusieurs travaux se sont récemment intéressés de plus près à cet unique phénotype cognitif et comportemental et ont permis de le nuancer. Ainsi, dans le domaine du langage [5], on peut constater que, si les capacités syntaxiques et la compréhension lexicale de ces enfants sont relativement bien préservées [6], leur production lexicale serait, au contraire, altérée [7]. De la même façon, le domaine visuospatial peut être fractionné en sous-domaines que l’on découvre déficitaires ou pas chez cette population. Des déficits majeurs sont reportés dans des épreuves de production graphique [8] ou de construction de cubes [9] alors que la reconnaissance des visages semble être un îlot de compétences bien préservé [3].

De nombreux auteurs se sont intéressés aux capacités de reconnaissance des visages chez les enfants SW et les résultats de leurs travaux ont suscité un débat qui n’est à l’heure actuelle toujours pas clos. En effet, ces études ont établi que les enfants SW seraient performants dans la reconnaissance des visages alors que d’autres données rapportent à l’inverse, que non seulement ces enfants présentent de grandes difficultés dans le domaine visuospatial mais plus spécifiquement des problèmes dans le traitement configural des patterns visuels. Or ce traitement configural, qui fait référence à la capacité de traiter les relations spatiales entre les éléments composants un pattern visuel, serait justement celui qui est prioritairement sollicité dans la reconnaissance des visages chez les personnes typiques [10]. La confrontation des données obtenues dans ces deux domaines soulève donc un paradoxe.

Ainsi, plusieurs travaux ont évalué les capacités visuospatiales des enfants SW et ont noté des déficits particulièrement évidents lorsque les épreuves reposent sur le regroupement d’objets ou de parties d’objets. En utilisant le sous-test de reconstruction de cubes de l’épreuve standardisée du WISC-R [11], Pezzini et al. [9] ont montré, par exemple, que les enfants atteints du SW présentent un niveau de performance très en dessous de celui d’enfants témoins du même âge chronologique (AC). Plus important, Bellugi et al. [12], avec la même épreuve, ont rapporté que les enfants SW ont des performances similaires à celles de leurs témoins trisomiques mais que le type d’erreurs produites par les deux groupes est très différent. Les trisomiques reproduisent correctement la configuration d’ensemble mais font des erreurs dans les détails des formes à reconstruire. Au contraire, les enfants SW ont plus de difficultés pour reproduire la configuration globale que pour retrouver les détails de ces formes.

En parallèle, plusieurs équipes s’intéressant au domaine de la reconnaissance des visages ont montré que cette compétence était particulièrement préservée dans le cas du SW. Ainsi, des enfants atteints du SW ont été testés dans une série d’épreuves standardisées (Benton test ; [13]) impliquant la discrimination ou le rappel immédiat de visages non familiers et se sont révélés significativement meilleurs que leurs témoins trisomiques [12], [14] ou que leurs témoins sains appariés sur l’âge mental (AM) [9]. Udwin et Yule [15] ont comparé les performances de sujets atteints du SW et celles d’enfants sains appariés sur l’AC dans un test de mémorisation de visages (Rivermead Behavioural Memory Test ; [16]). Les résultats de cette étude montrent que les enfants SW présentent des performances significativement meilleures que leurs témoins.

L’ensemble de ces données semble donc indiquer que la reconnaissance des visages est une capacité préservée parmi un ensemble de fonctions visuospatiales particulièrement affectées dans le SW. Ces observations ont poussé plusieurs chercheurs à évaluer plus précisément quelles étaient les stratégies de traitement des visages utilisées par les enfants SW. La question était de préciser si le déficit du traitement configural s’appliquait également à cette classe de stimuli bien particulière.

Les stratégies de traitement des visages ont été d’abord explorées à travers l’utilisation différentielle et préférentielle des informations relatives au contour ou à l’intérieur des visages. En effet, une série d’études menées par Campbell et al. avaient établi un avantage des informations relatives au contour chez des enfants de moins de dix ans [17]. Selon ces auteurs, le traitement des traits internes impliquerait une analyse configurale alors que le traitement des informations de contour s’apparenterait à un traitement de la forme globale des visages. Deruelle et al. [18] ont testé des enfants SW dans le même type d’épreuves et rapportent que les performances des SW sont similaires à celles des témoins lorsqu’il s’agit de traiter le contour des visages, mais elles sont nettement inférieures lorsque ce sont les traits internes du visage qu’il faut analyser. Ainsi, cette étude montrerait que ces enfants présenteraient plus de difficultés que les témoins lorsque la tâche requiert un traitement des relations spatiales entre éléments faciaux, soit un traitement configural.

Dans une étude menée en 1997, Karmiloff-Smith [19] a demandé à dix enfants SW et à dix enfants témoins du même AC, d’apparier des visages sur la base des expressions émotionnelles, de la direction du regard, de l’identité ou de la lecture labiale. Les résultats montrent que les SW ne présentent des difficultés que lorsque les visages à comparer sont très similaires. Selon l’auteur, ces résultats étayent l’hypothèse d’un trouble du traitement configural chez les SW puisque la demande en traitement configural est plus grande lorsque les visages se ressemblent que lorsqu’ils sont très dissemblables. Toutefois, et l’auteur en convient elle-même, les épreuves utilisées dans cette étude n’étaient pas appropriées pour évaluer directement l’importance du traitement configural ou local dans la reconnaissance des visages.

C’est avec l’objectif de tester plus directement cette question que Deruelle et al. [20] ont mené une série d’expériences dans lesquelles les performances de 12 enfants atteints du SW étaient comparées à celles d’enfants du même AM ou du même AC. L’ensemble des sujets était engagé dans trois épreuves. La première épreuve était très proche de celle utilisée par Karmiloff-Smith [19] mais deux aspects supplémentaires étaient testés : l’appariement en fonction de l’âge et en fonction du genre. Sur l’ensemble des tâches proposées dans cette première épreuve, les enfants atteints du SW ne différaient pas des AM mais étaient moins performants que les AC malgré un niveau de réussite relativement élevé (87,7 % de réponses correctes en moyenne). Le seul aspect totalement préservé chez les SW était la lecture labiale. La lecture labiale engageant des processus de traitement plus locaux que ceux impliqués dans les autres aspects du traitement des visages évalués dans cette épreuve, ces données confortent l’hypothèse d’un déficit du traitement configural chez les enfants SW. Pour évaluer plus directement l’existence d’un tel déficit, les auteurs ont eu recours à deux autres épreuves. La première recherchait l’existence d’un effet d’inversion largement documenté dans la littérature [21] pour les visages et pour des images de maisons. Les résultats rapportent, conformément aux prédictions, que les sujets témoins présentent un effet d’inversion pour les visages et pas pour les maisons alors que les enfants SW ne présentent pas d’effet d’inversion. L’effet d’inversion étant sensé indexer l’utilisation d’un traitement configural, le manque d’effet d’inversion chez les SW est un argument supplémentaire en faveur d’un trouble du traitement configural chez cette population. Enfin, dans une dernière épreuve, les sujets devaient comparer des schémas de visages ou des formes géométriques qui avaient subi soit des transformations locales (la forme d’un ou plusieurs éléments avait été changée) ou des transformations configurales (les relations spatiales entre les éléments étaient manipulées). Dans cette épreuve, les enfants SW font autant d’erreurs que les témoins pour détecter les transformations locales mais font significativement plus d’erreurs qu’eux pour détecter les transformations configurales. Ces données signent une nouvelle fois un trouble du traitement configural chez les enfants SW.

Le visage étant la principale source d’information sur les états émotionnels d’autrui, certains auteurs se sont penchés sur les compétences de reconnaissance des expressions faciales émotionnelles dans le SW.

Ainsi, Gagliardi et al. [22] ont utilisé un nouveau test de reconnaissance des émotions, l’Affect, chez 26 enfants SW. Ils ont pu démontrer que ces enfants présentaient un niveau de performance plus proche de celui de leur AM que de leur AC. Partant de l’hypothèse que le traitement des émotions implique principalement une stratégie configurale, les auteurs proposent une explication des difficultés observées dans le SW en invoquant un déficit du traitement configural.

On pourrait ainsi supposer que les problèmes que les SW éprouvent à utiliser un traitement configural s’étendent aussi aux domaines dans lesquels des compétences préservées ont été décrites comme c’est le cas du domaine socioémotionnel.

Toutefois, l’étude de Gagliardi et al. [22] n’avait pas inclus de conditions expérimentales pour évaluer directement l’implication de stratégies configurales et l’hypothèse d’un déficit configural dans la reconnaissance des émotions demandait à être vérifiée. L’étude présentée ici a donc eu pour objectif d’aborder cette question de manière plus directe. Pour cela, nous avons recherché si les enfants SW présentaient un effet d’inversion dans la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles, effet qui est un indicateur bien connu de l’utilisation de stratégies configurales.

Section snippets

Participants

Nous avons réalisé cette expérience chez 15 enfants SW (12 filles et trois garçons). Tous les participants remplissaient les critères de diagnostic établis par Preus [23] (par exemple, dysmorphie faciale, petit poids de naissance, troubles de l’alimentation, etc.) et le diagnostic a été confirmé par la technique d’hybridation in situ (c’est-à-dire, Fish). Leur âge allait de sept ans sept mois à 14 ans (âge moyen : 11 ans 3 mois ; ET : 2 ans 3 mois). Les enfants SW ont été recrutés

Discussion

Cette étude visait à vérifier si les enfants SW utilisent les mêmes stratégies perceptives que les enfants témoins lors de la reconnaissance d’expressions faciales. Pour ce faire, nous avons demandé à des enfants SW et témoins de reconnaître des émotions sur des visages présentés soit à l’endroit, soit à l’envers et nous avons recherché l’existence d’un effet d’inversion reflétant l’utilisation d’une stratégie configurale typique pour reconnaître les émotions faciales.

Nos résultats montrent

Remerciements

Nous adressons nos sincères remerciements à tous les enfants qui ont participé à cette étude ainsi qu’à leurs parents et aux associations régionales sur le SW. Andreia Santos a été financée par la Fondation pour la Science et la Technologie (FCT-MCTES, Portugal, SFRH/BD/18820/2004) pour réaliser cette étude.

Références (32)

  • B.P. Klein et al.

    Contrasting patterns of cognitive abilities of 9- and 10-year-olds with Williams syndrome or Down syndrome

    Dev Neuropsychol

    (1999)
  • Bellugi U, Losh M, Reilly J, Anderson D. Excessive use of linguistically encoded affect: stories from young children...
  • J. Bertrand et al.

    Drawing by children with Williams syndrome: a developmental perspective

    Dev Neuropsychol

    (1997)
  • G. Pezzini et al.

    Children with Williams syndrome: is there a single neuropsychological profile?

    Dev Neuropsychol

    (1999)
  • H. Leder et al.

    Face-specific configural processing of relational information

    Br J Psychol

    (2006)
  • D. Wechsler

    Wechsler intelligence scale for children-revised

    (1974)
  • Cited by (2)

    Deruelle C, Santos A. Joie, tristesse ou colère ? Quelles stratégies utilisent les enfants porteurs du syndrome de Williams pour reconnaître des expressions émotionnelles faciales ? Evol psychiatr 2009; 74.

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