Elsevier

L'Encéphale

Volume 33, Issue 6, December 2007, Pages 892-901
L'Encéphale

Psychiatrie légale
Impact des troubles mentaux sur la qualité de vie perçue par des patients issus d’un hôpital psychiatrique sécuritaireThe impact of mental disorders on quality of life perceived by patients discharged from a security psychiatric hospital

https://doi.org/10.1016/j.encep.2006.12.003Get rights and content

Résumé

Objectif

Cette étude évalue l’impact des troubles mentaux majeurs et de la personnalité sur la qualité de vie perçue par des patients internés dans un hôpital psychiatrique sécuritaire.

Méthode

Soixante douze délinquants, présentant des troubles mentaux, issus d’un hôpital psychiatrique sécuritaire belge sont évalués au World Health Organization Quality Of Life, version abrégée (WHOQOL-bref, 22), à la diagnostic interview schedule, screening interview (DISSI, 44) et au structured clinical interview for DSM-IV axis II disorders (SCID II, 19). Afin de repérer l’impact des troubles mentaux et l’effet de la comorbidité sur la qualité de vie perçue par les patients, nous procédons à des comparaisons de moyennes à l’aide du test U de Mann Whitney.

Résultats

La perception de la qualité de vie des patients est peu sensible à la présence d’un trouble mental majeur (Axe 1 DSM III) dans notre échantillon. En revanche, les personnes présentant un trouble de la personnalité narcissique et antisociale estiment avoir une meilleure qualité de vie comparativement à leurs homologues dépourvus de ces troubles. Les résultats sont discutés en fonction des données de la littérature concernant l’évaluation de la qualité de vie en psychiatrie générale.

Conclusion

Les résultats de cette étude nous encourage à considérer les troubles de la personnalité pour l’évaluation de la qualité de vie perçue associés ou non aux troubles mentaux majeurs.

Summary

Aim of study

This study assesses the impact of major mental and personality disorders on the quality of life perceived by a Belgian adult male population in a forensic hospital.

Method.- Population

Population included 72 male patients (mean age = 41.00; S.D. = 9.73) from a security hospital in Belgium. The evaluations were collected between March 2002 and June 2004.

Instruments

We used the World Health Organization Quality Of Life-brief (WHOQOL-brief, 22). The WHOQOL-brief was developed from the larger WHOQOL-100 data sets, forwarded from fifteen international field WHOQOL centers coordinated by the Geneva centre. The WHOQOL-brief is a generic and multidimensional self-report containing 26 items. It includes one item from each of the 24 facets of the WHOQOL-100, and two more items from the overall quality of life and general health facet. Like the WHOQOL-100, all items in the WHOQOL-brief are rated on a five-point scale. Four types of scales assess the: intensity (not at all–extremely), capacity (not at all–completely), frequency (never–always) and evaluation (very dissatisfied/very bad–very satisfied/very good). While the initial conceptual framework for the WHOQOL-100 offered six domains, WHOQOL-brief is composed of four factors: (a) physical health; (b) psychological health; (c) social relations and; (d) environment. Saloppé and Pham [Saloppé X., Pham Th. Validation du WHOQOL-bref en hôpital psychiatrique sécuritaire. À paraître dans Forensic] showed that the WHOQOL-brief fulfils the psychometric qualities to be used in the evaluation of patients interned in a forensic hospital. We used the diagnostic interview schedule screening interview (DISSI, 44) to evaluate major mental disorders and the structured clinical interview for DSM-IV axis II disorders (SCID II, 19) to evaluate personality disorders.

Procedure

The aim of this research was to evaluate the quality of life perceived by the forensic patients. It is essential that the instructions clearly indicate this direction so as to avoid patients evoking their quality of life in another environmental context. It is thus specified that the patient must answer the questionnaire referring to the institution's unit in which he was hospitalized at the time of the evaluation.

Data analysis

Initially, a descriptive analysis starting from the transformed scores is presented. In order to evaluate the impact of the mental disorders and the effect of the comorbidity on the quality of life perceived by the patients, in the second phase, we performed average comparisons using Mann Whitney's U-test. The data were analysed using the statistical package for social sciences (SPSS, 52), version 11.0.

Results

The forensic inpatients revealed a mean total score of 59.76 (S.D. = 13.60) out of 120 on the WHOQOL-brief. The comparisons between the WHOQOL-brief factors suggested that the participants claimed to have better physical than psychological health (W = 5.76, P < 0.0001), environment (W = 6.68, P < 0.0001) and social relations (W = 6.85, P < 0.0001). Major mental disorders did not influence the perceived quality of life of the patients. However, the perception of their quality of life varied significantly in the case of personality disorders. Indeed, the patients with a narcissistic personality claimed to have better global quality of life than the other patients (U = 120.00, P = 0.005). They claimed to have better physical health, social relations and environment than those without this disorder (U = 113.50, P = 0.004 and U = 136, P = 0.011; U = 159, P = 0.034). Patients with an antisocial personality presented significantly higher scores on the WHOQOL-brief than those without this disorder in the social relations and physical health domains (U = 445.50, P = 0.020 and U = 468.50, P = 0.043). The diagnostic comorbidity had no impact on the quality of life of the patients. The lack of sufficient patients in the disorders groups may have contributed to this absence of result.

Conclusion

The results of this study encourage us to further consider personality disorders associated or not with major mental disorders. This study reinforces the idea that to apprehend the quality of life of the forensic population is a fundamental element of their treatment.

Introduction

L’hétérogénéité des origines relatives aux fondements philosophiques, sociaux, politiques et médicaux du concept de qualité de vie favorise son évaluation globale tout en se situant au plus près de la réalité perçue par les individus. L’Organisation mondiale de la santé a défini le concept de qualité de vie liée à la santé en tenant compte des aspects objectifs et subjectifs qu’il comporte. La qualité de vie est donc définie comme :

La perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. C’est un concept complexe, largement influencé par la santé physique du sujet, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement [22].

L’intérêt pour l’évaluation de la qualité de vie dans le champ de la psychiatrie est grandissant depuis une vingtaine d’années [48]. De nombreuses études ont évalué l’impact des troubles mentaux majeurs sur la qualité de la vie perçue par les patients [3], [7], [8], [29], [36], [47], [61]. De ces dernières, il ressort que les patients schizophrènes, anxieux et dépressifs péjorent leur qualité de vie comparativement aux personnes appartenant à la population générale [4], [9], [10], [15], [17], [18], [20], [24], [25], [26], [27], [28], [31], [41], [49], [50], [51], [57], [58], [59]. Leur qualité de vie est négativement associée à la chronicité de la pathologie et à la sévérité des symptômes [18], particulièrement les symptômes négatifs en ce qui concerne les patients schizophrènes [38]. Cependant, Chambon et al. [12] ne manquent pas de souligner qu’il est souvent surprenant de voir à quel point ces patients sont satisfaits de leur vie. Grâce à leurs mécanismes de défense tels que les idées délirantes mégalomaniaques, les patients évitent de se confronter aux principaux défis existentiels et se protégent de certains facteurs de stress. Par conséquent, il semble que ce soit particulièrement l’anxiété et la dépression qui soient associées à une mauvaise qualité de vie perçue par les patients schizophrènes [16], [23]. Comme pour la schizophrénie, la présence d’un trouble dépressif majeur associée au trouble obsessionnel-compulsif est prédicteur d’une qualité de vie plus pauvre comparativement aux patients dépourvus de cette comorbidité [32]. L’évaluation de la qualité de vie est une mesure systématiquement reprise dans le domaine des essais cliniques pour valider l’efficacité des thérapies. Les auteurs insistent sur l’efficacité des pharmacothérapies et/ou des psychothérapies afin de réduire la symptomatologie et d’améliorer la perception de la qualité de vie des patients [9], [14], [39], [59].

En revanche, les études contrôlées relatives à l’évaluation de la qualité de vie de patients atteints de troubles de la personnalité sont très réduites. Elles révèlent l’influence négative des troubles de la personnalité sur la qualité de vie perçue par les patients [33], [34], [53]. Il semble que ce lien soit encore plus fort si les personnes présentent plusieurs troubles de la personnalité [13].

À ce jour, trop peu de recherches portent encore sur l’évaluation de la qualité de vie auprès d’une population délinquante présentant des troubles mentaux [43], [54]. Nous avons par ailleurs insisté sur la nécessité de développer ces études dans une perspective éthique, clinique, thérapeutique et criminologique afin d’enrichir le champ de la psychiatrie légale [45]. Walker et Gudjonsson [55] ont comparé la qualité de vie perçue par des délinquants internés dans un établissement psychiatrique sécuritaire aux données, obtenues par Oliver et al. [37], concernant la qualité de vie perçue par une population de psychiatrie générale. Les résultats montrent que la qualité de vie globale, évaluée à l’aide du Lancashire quality of life profile, des délinquants n’est pas différente de celle des patients issus de psychiatrie générale. Cependant, les délinquants présentant des troubles mentaux perçoivent plus négativement leur mode de vie, leur sécurité, leur situation légale et leur santé. Ces auteurs ont également mis en évidence que les relations sociales des délinquants présentant des troubles mentaux sont significativement mieux perçues que celles des patients issus de psychiatrie générale. Swinton et al. [53] ont évalué la qualité de vie avec le même outil que les auteurs précédents, chez 47 patients schizophrènes et 48 patients présentant un trouble de la personnalité, issus d’un hôpital psychiatrique sécuritaire. Les résultats montrent que les patients atteints d’un trouble de la personnalité estiment avoir une moins bonne qualité de vie objective et subjective comparativement aux personnes schizophrènes vivant dans les mêmes conditions environnementales.

Notre recherche se donne pour objectif d’étudier l’impact des troubles mentaux majeurs et de la personnalité sur la qualité de vie de délinquants internés dans un hôpital psychiatrique sécuritaire. La comorbidité, c’est-à-dire la présence simultanée de deux ou plusieurs diagnostics apparaissant chez une même personne, est une caractéristique clinique courante dans la population de défense sociale [40] dont l’impact sur la qualité de vie sera analysé.

Section snippets

Institution

L’établissement de défense sociale Les Marronniers, située à Tournai en Belgique, est un hôpital psychiatrique sécuritaire qui prend en charge 340 délinquants présentant pour la plupart des troubles psychiatriques. Ils sont hospitalisés dans le cadre de la loi de défense sociale qui prévoit l’internement des personnes ayant commis un délit si elles sont reconnues incapables du contrôle de leurs actes de par leur(s) trouble(s) psychiatrique(s). Sa principale mission est d’assurer le suivi

Analyse descriptive

Les patients de défense sociale estiment avoir une qualité de vie globalement moyenne avec un score total au WHOQOL-bref proche de 60 sur 120 (Tableau 4). Les comparaisons entre les domaines du WHOQOL-bref suggèrent que les participants estiment avoir une meilleure santé physique comparativement à la perception qu’ils ont de leur santé psychologique (W = 5,76 ; p < 0,0001), de leur environnement (W = 6,68 ; p < 0,0001) et de leurs relations sociales (W = 6,85 ; p < 0,0001). Le score total au WHOQOL-bref et

Discussion

Cette étude avait pour objectif d’évaluer l’impact des troubles mentaux majeurs et de la personnalité sur la qualité de vie perçue par 72 patients internés dans un hôpital psychiatrique sécuritaire. Les données de la littérature dans le champ de la psychiatrie générale révèlent que les patients schizophrènes, dépressifs et anxieux péjorent leur qualité de vie comparativement aux personnes appartenant à la population générale [4], [9], [10], [15], [17], [18], [20], [24], [25], [26], [27], [28],

Conclusion

Cette étude évaluait l’impact des troubles mentaux sur la qualité de vie perçue par les patients internés dans un hôpital psychiatrique sécuritaire. Les résultats de cette étude nous encouragent à considérer les troubles de la personnalité associés ou non aux troubles mentaux majeurs. À l’instar des résultats obtenus concernant les troubles de la personnalité narcissique et antisociale, nous évaluerons, lors d’une prochaine étude, l’impact de la psychopathie sur leur qualité de vie perçue au

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    Cet article a été réalisé avec le soutien du ministère de la région wallonne, santé et affaire sociale, CRDS, 94, rue Despars, 7500 Tournai, Belgique. Les auteurs remercient Christian Réveillère, Claire Ducro et Laurence Willocq pour leurs commentaires.

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